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Témoignage de Madame L.

La procidence du cordon ombilical

Redouté autant qu'attendu, le jour de l'accouchement marque le début d'une nouvelle vie. Malheureusement, il arrive parfois que des complications surviennent et viennent gâcher ce moment magique. Si elle reste rare, la procidence du cordon en est l'une d'entre elles.

Lorsqu'un accouchement se déroule normalement, c'est l'enfant qui se présente et sort en premier suivi ensuite par le cordon ombilical et, pour finir, par le placenta. Or, dans de très rares cas (entre 0,3 et 0,6 pour 100 accouchements), il arrive que le cordon se présente avant la tête de l'enfant. C'est ce qu'on appelle la procidence du cordon. Cette situation anormale a pour effet de comprimer le cordon ombilical et, par conséquent, d'altérer la circulation fœtale. Le bébé présente généralement des signes de souffrance fœtale qui nécessite une intervention urgente des obstétriciens.

" T. monte enfin ! On nous conduit dans notre chambre et m’informe qu’on viendra me chercher pour aller en salle de naissance. Euh vite en fait svp car j’ai mal là ! Vers 9h arrivée en salle de naissance, dilatée à 7 (waouh il était temps !) on me pose la péridurale, le travail avance très bien sans souci. Je dilate correctement, rien d’alarmant. Dans la matinée je fissure seule la poche des eaux, on laisse faire pour voir si je la perce entièrement seule. On papote avec T. et avec le corps médical : on rigole, on est bien et sereins, tout se présente bien.

Vers 13h30/14h : je suis à 9 et la sage-femme me dit qu’elle va finir de percer la poche et comme cela bébé va descendre petit à petit et le col finira de dilater. En effet c’est ce qu’il se passe. Cool ! Je lui dis que je sens tout de même les contractions, que ça ne me fait pas mal, mais que j’ai de plus en plus les sensations, car je n’ai pas voulu forcer les doses de produits de péridurale. Ce n’est pas tellement grave, au moins je sentirais bébé sortir.

Dernier contrôle : dilatation complète MAIS elle sent un « bourlet » donc vu que bébé va bien, elle décide de laisser faire encore la décente... 15h, on va pouvoir y aller, même s’il y a toujours ce bourlet (étrange). Elle m’annonce qu’on va y aller, mais que cependant va falloir aller assez vite car elle nous laisse un maximum de 15 min de poussées sans intervention médicale. Je commence à avoir peur. Elles se veulent rassurante tout de même, donc on y va !

15h14 : je me lance, je pousse comme une malade et là gros arrêt et elle dit : « procidence latérale du cordon !!!! C’est le cordon que j’ai en 1er pas le bébé, ce n’est pas un bourlet de col » et là je ne comprends plus rien. C’est quoi ce terme médical ?! T. me sert fort la main on se regarde, on

panique. On passe de 4 personnes dans la salle (SF, auxiliaire, papa, moi) à presque 8, le gynéco me dit de pousser fort, très fort qu’il faut y aller et en même temps autour de moi tout s’affole, chacun appel un médecin supérieur (pédiatre, anesthésiste, bloc op), on me dit « poussez ! » « non, stop ». Le gynéco dit « ventouse », essaye, les balances dit « forceps » les balances, (rien ne marche). Je pousse une nouvelle fois et j’entends un énorme splach (T. me dira après que c’était du sang).

Le gynéco prend alors son bras et l’insère dans mon vagin attrape la tête et repousse tout dans le ventre en haut !!!! Une sensation tellement particulière, le dessous de ma poitrine qui était vide depuis 12 heures vient de se ré arrondir. Il crie « CODE ROUGE on l’emmène au bloc : césarienne ». La sage-femme me monte dessus à cheval et prend le relai avec le bras entier en moi à retenir mon bébé bien à l’intérieur et là je lâche la main de T., les larmes aux yeux et je pars. J’entends quelqu’un qui dit « Monsieur cette chaise est pour vous, attendez là on arrive ».

On rentre au bloc, les portes se ferment, je pense qu’on est 12 environ. On me bascule du lit à la table d’opération. L’anesthésiste s’installe pour m’endormir en me mettant un masque, mais avant cela j’entends le gynéco crier « INCISION !!!! » et biiiiiim incisée comme ça totalement consciente, à vif, je hurle de douleur, je hurle c’est affreux. Je sens qu’il me trifouille, je hurle « endormez moi » mais le produit anesthésiant ne fait pas effet, faut en essayer un autre... Je n’ai jamais hurlé si fort de toute ma vie, d’ailleurs je n’ai jamais souffert autant de tout ma vie. Tout s’agite, la soignante qui me tiens la main demande au gynéco d’arrêter car j’ai mal. Mais le gynéco dit que ce n’est pas possible d’arrêter et demande à l’infirmier anesthésiste de m’endormir, qui lui dit que c’est fait alors que moi je hurle que je suis encore là. C’est affreux, horrible, atroce, traumatisant.

Et là je sens qu’on sort mon bébé (enfin plutôt une sensation que l’on tire quelque chose de moi) et j’entends 15h28. Puis plus rien. Le vide. Je « dors ».

Je me réveille et ce 15h28 raisonne dans ma tête « heure de naissance ou heure de décès ? ». Oui car j’y ai pensé, j’y ai pensé tellement fort, ne jamais rencontrer mon enfant, mais j’ai également pensé ne jamais revoir T. Cette douleur tellement atroce qui nous fait penser que nous approchons de la mort. Ce moment totalement inconnu et imprévisible qui arrive d’un seul coup. J’essaye alors de capter toutes les conversations autour de moi, on est en train de me nettoyer, de me recoudre. J’entends « c’était son 1er bébé ? Oui... ah bah super le souvenir... », « .... le bébé ? ... oui il

est avec son papa, c’est dingue » et là... je le sens, je souris ! Une dame voit que je réagis et j’entends « tout vas bien madame, votre bébé est né il y’a une heure, il est avec son papa, il va très bien » je pleure.

Il est là, je suis là, nous sommes là.

Mais que nous est-il arrivé alors que tout allait très bien ?

E. Mercredi 27 mai 2020, 15h28 (donc heure de naissance), il est là, je suis là, et notre vie commence.

Je les rejoins à 16h34 dans la salle de naissance dans laquelle j’avais quitté T, ils sont là tous les deux en peau à peau. Ce sentiment de soulagement, de bonheur, de fierté tout de même d’avoir enfin mon bébé, mais aussi toutes ces interrogations.

Je suis totalement épuisée, entre l’anesthésie générale, toutes ces émotions, je pense qu’il me faut bien encore une bonne heure pour regarder sans fermer les yeux de fatigue mon bébé avec son papa.

Entre deux sommeils, l’auxiliaire me dit que lorsque je serais bien réveillée et mieux, on m’expliquera calmement ce qui s’est passé. T. me dit à son tour qu’on est venu le lui expliquer, mais me dit de me reposer. Je suis un peu mieux réveillée, on procède à la pesé (ils m’avaient attendus), 3,930 kg, le gynéco ne s’était pas trompé pendant la grossesse, beau bébé ! L’auxiliaire vient alors déposer E. près de mon visage. C’est LA rencontre, ce petit être qui m’appartient tout entier et qui sort de moi et ma chair.

A mes premiers mots, il ouvre les yeux, je suis SA maman. Je l’embrasse, cette odeur dont on m’avait tant parlé, l’odeur fabuleuse de MON bébé. Mais trop épuisée, il retourne dans les bras de papa.

Nous sommes donc emmenés dans notre chambre. L’ensemble des personnes présentent à l’accouchement, des médecins, aux petites mains sont toutes venues me voir, pour m’expliquer ce que nous avions traversé. Il s’agit donc d’une procidence du cordon, qui nécessite une césarienne d’urgence.

Plus clairement, le cordon se présente avant le bébé. On m’a dit de visualiser le bébé et le cordon nager librement dans mon ventre et le cordon a doublé E. La procidence du cordon arrive dans 0,3% des accouchements et il a fallu que ça nous tombe dessus.

On nous a alors expliqué que le gynéco a pris la décision d’inciser avant les consignes et seul car pour lui il ne fallait pas une minute de plus pour le bébé ! Il est intervenu sous la précipitation et en écoutant que son instinct et en ne respectant pas les règles habituelles, il nous a dit « j’ai pris la décision de le faire, je sais que vous avez énormément souffert, mais il ne fallait pas dépasser 30 secondes de plus ».

Alors oui j’ai souffert, oui on pourrait penser que j’ai vécu une violence obstétricale mais en aucun cas je ne pense ça. Car pour moi, et grâce à cette intervention rapide, mon bébé est sortie et n’a eu besoin de aucun acte médical, ni réanimation, ni aspiration, ni oxygène, rien. Il était temps ! Pour le gynéco, c’est un chanceux de la vie... L’ensemble de l’équipe était totalement déboussolé après un accouchement pareil, d’autant plus qu’en Janvier il y avait eu la même chose avec décès du bébé et des séquelles chez la maman. Tellement affreux et dans une si petite maternité comme celle-ci. Ils ont été bienveillants et rassurants. Le gynéco est repassé nous voir tous les soirs et matins du séjour et nous a redit qu’on avait eu une bonne étoile et c’est excusé pour cette incision brutale. Je ne les

remercierais jamais assez finalement de nous avoir « sauvé ».

Puis le séjour c’est passé à la maternité, l’allaitement c’est très bien vite mis en place. E. était en

super forme et T. et moi profitions de nos premiers jours de jeunes parents. Il était confiné avec nous, c’était vraiment fabuleux. Mais j’aurais aimé quand même que l’on me parle des suites d’une césarienne.

C’est vrai, j’avais vu en cours de préparation à l’accouchement qu’une césarienne d’urgence pouvait

survenir, mais l’après ? Les douleurs du début, les tiraillements de la cicatrice, le fait de ne pas pouvoir se lever aussitôt, être sondée pour uriner pendant plusieurs heures après la naissance... les piqures dans les cuisses, les bas de contention, les soins de la cicatrice pendant 10 jours après l’accouchement, la démarche d’une grand-mère Le fait de ne pas pouvoir porter des charges lourdes et de dépendre de quelqu’un dans les premières semaines. Alors bien sur ce n’est que MON avis et MON témoignage, mais j’aurais aimé savoir que les premiers jours je suis seulement spectatrice des premières fois de mon fils et non actrice.

J’aurais aimé savoir qu’il faut la masser cette foutu cicatrice pour éviter les adhérences. Et surtout

j’aurais aimé savoir que cet événement peut nous revenir en pleine face des semaines et des semaines après la naissance de mon fils. Qu’il est difficile d’accepter ce bas du corps, qu’il en est même impossible de s’en occuper seule, et qu’il a fallu que je consulte un kiné pour la faire masser. Et que cet accouchement hante mes pensées sans que je ne demande rien. Que j’ai l’impression qu’on m’ouvre à nouveau totalement consciente lorsqu’on touche à ma cicatrice. Que mon conjoint n’a plus le droit d’effleurer et poser sa main sur cette partie de mon corps. Que je regrette chaque jour de pas avoir pu voir la tête de mon T. lorsqu’il a rencontré pour la première fois notre enfant. Que tous les accouchements ne se passent pas comme dans baby-boom. Que non je n’ai pas connu se poser de bébé tout mouillé juste sortie de mon ventre avec le premier regard dont on nous parle tant. Ce premier bisou et je t’aime avec mon chéri pour se faire comprendre à quel point nous sommes fiers et heureux.

Et pourtant... on me dira que j’ai de la « chance » car mon bébé est en pleine forme et en très bonne santé et que moi aussi. Mais aujourd’hui à ces personnes je leur repondéraient que volontiers je leur laisse se faire ouvrir le ventre en étant totalement consciente, d’avoir autant peur que moi, que nous, d’affronter le pire ce jour-là et de ne pas vivre la naissance de leur enfant avec la personne qu’elles aiment le plus au monde avant ce bébé : leur chéri, le papa. Je leur dirais que les cicatrices invisibles, psychologiques peuvent avoir le triple de conséquence sur nous.

4 mois pour réaliser que ça n’allait pas, 7 mois pour en parler, c’est ce qu’il m’aura fallu. Prendre le temps et le courage de consulter. Comprendre que toucher cette cicatrice était important mais pas obligatoirement à faire par moi-même. Comprendre qu’il s’agit de notre histoire, et que c’est normal de craquer parfois. Comprendre que beaucoup ne peuvent pas comprendre.

Accepter, accepter petit à petit ce bout de notre chemin, parler, demander les émotions de chacun. Et accepter que ce soit impossible à changer, mais essayer de changer son regard sur soi et sur ses traces. Le temps sera long, mais j’y arriverai."