15 mois. C’est le temps qu’il nous aura fallu pour savoir ce que l’on savait déjà.
Ma fille est née le 18 juin 2020 à 3h52.
La grossesse se déroule parfaitement sur le plan médical. L’accouchement également. Un déclenchement à terme au gel car le liquide amniotique est trop faible. Je souhaitais au maximum un accouchement physiologique mais qu’importe c’est la sécurité de bébé avant tout.
La sage-femme applique le gel, 2h plus tard on nous monte dans notre chambre, au service maternité.
On nous laisse ici, seuls, mon conjoint et moi. La porte se referme, on ne m’a pas posé de monitoring. Pendant 7h, personne pour contrôler les battements du coeur de ma fille, personne pour nous aider à gérer des contractions. 7h.
S’en suivra des situations de violence et de maltraitance qui aujourd’hui encore animent beaucoup de colère en moi.
Je repense à cette sage femme qui me disputera comme une enfant car j’ai vomi dans le lavabo-baignoire de bébé. « J’apprécierais que vous vomissiez ailleurs, ce n'est pas hygiénique ». Comme si j’avais eu le choix. Elle me voit en grande souffrance, je suis déjà tellement épuisée, on gère les contractions seuls depuis plusieurs heures, c’est notre premier bébé. Elle me lancera une boite de spasfon, me dira d'en prendre 1 tout les quarts d’heure et repartira.
A 23h j’appuierais sur le bouton rouge, la poche des eaux vient de se percer. A ce stade je ne sais pas comment je vais avoir la force de mettre au monde ma fille, l'épuisement est total, je suis completement vidée. La sage-femme me lancera avec un sourire «bon bah, vous êtes dilaté qu’à 2cm. On prend la péridurale, hein? ». La douleur, l’épuisement, la peur me font répondre Oui. Moi qui souhaitais autant que possible accoucher sans péridurale… Je convulserais de fatigue pendant plus d’1h après la pose de la péridurale, je vomirais à nouveau mais la douleur est maintenant soutenable. On nous laisse alors seuls car il y a d autres femmes à s'occuper.
Je repense aussi à cette puéricultrice qui apportera mon plateau repas alors que je suis entrain d'essayer d'allaiter ma fille et me dira « je le récupère dans 20 min, on n’est pas au restaurant ici ». Je repense à cette sage femme qui débarquera à 21h dans la chambre sans présentation ni explication et me dira qu'ils viennent prendre ma fille toute la nuit pour la mettre sous le tunnel à cause de sa jaunisse. Je repense à cette pédiatre en néonat qui à 3h du matin alors que je suis dans un état psychologique très fragile, que je tente d'allaiter ma fille qui pleure depuis des heures, m’expliquera avec froideur entre 2 portes que si l'on n’arrive pas à éradiquer cette jaunisse les conséquences peuvent être dramatiques incluant la mort de mon enfant. Je repense à celle qui en regardant nos différences de groupes sanguins me dira: « Ah ba vous étiez vraiment incompatible avec votre fille ». Je n’oublie pas non plus les 2 auxiliaires faisant du charme à mon conjoint alors que je suis dans la salle de bains, mon conjoint qui aura été élu « Papa le plus sexy de l’année ». Oui, c‘est le commentaire que l’on m’a adressé 2h après la naissance de ma fille. Je repense à beaucoup d’autres situations encore et la colère se fait encore plus grande.
Et puis il y a l’allaitement…
Mon allaitement ne marche pas, je le sais, je le sens. On fait la tétée d’accueil: « Bon ça n'a pas l’air de fonctionner là, mais vous pouvez réessayer dans 1h ».
Durant tout mon séjour, je demanderais à chaque sage-femme et auxiliaire si ma fille n’a pas des freins restrictifs buccaux, on me répond non à chaque fois, par ignorance. Moi je suis sure que oui, c’est mon instinct maternel qui me le dit : elle n’arrive pas à teter, elle a des freins restrictifs, je le vois, je le sens. La conseillère IBCLC que j’avais consulté pendant la grossesse m’aide comme elle peut, par FaceTime. Covid oblige. Mais elle n’est pas formée aux problèmes des freins, On essaye tout pendant plus d’un mois, DAL, SoftCup, Biberon Medela, sonde au petit doigt, biberon classique. J’ai commencé à tirer mon lait 2 semaines après l’accouchement. Les crevasses étaient telles que ma fille régurgitait mon sang. Vision d’horreur, je dis stop: « on répare les seins et on reprend l’allaitement après". Je suis toujours convaincue que ma fille a des freins.
Contrôle des 15 jours chez la pédiatre. Je n’ai pas de mots pour décrire à nouveau la maltraitance. Lorsqu'elle demande comment se passe l’allaitement je dis « très difficile, elle tête toutes les 30 mins, pleure constamment... ». Avec un air encore terrorisé je lui précise que ma fille a régurgité mon sang du fait des creuvasses. « Ouai bah et alors? C est que du sang! ».
En plein post partum, au summum de la vulnérabilité, je reçois ce commentaire comme un coup de poing mais ne réplique rien. Je lui montre le tire lait que j’ai loué quelques jours plutôt et lui demande si elle peut m'expliquer comment cela fonctionne, les tetrelles n’ont pas l’air d’être de la bonne taille, il y a différents programmes, etc. « Bah pourquoi?! Votre sage femme peut pas vous aider? ». Là, je m effondre, je pleure. Je suis épuisée, ma fille ne dort pas depuis la naissance, donc je ne dors pas. 2h cumulées par jour tout au plus. L’allaitement est une catastrophe, je me sens si seule et démunie. Apres 10 min de consultation express, on repart avec l’inscription suivante sur le carnet de santé: « donner 1 biberon de 90ml de lait infantile toutes les 3h ». Voilà. Le seule sourire que je verrais sur son visage est au moment ou elle demandera 55EUR.
La sage femme doit passer pour contrôler l’allaitement, (recommandation de la pédiatre). Ça l’embête, elle doit faire vite elle n'a pas le temps, elle a de l’administratif a faire suite à un cambriolage à son domicile. J’ai presque envie de m’excuser. Moi j'ai l impression que je vais mourir d épuisement, on ne dort toujours pas du tout, mon allaitement ne marche pas du tout, Z. pleure constamment, je suis perdue, en hypervigilence, dans une anxiété indescriptible, vivant un post partum d’une brutalité sans nom. Mais je la comprends, je la remercie meme d’avoir pris 20 min de son précieux temps pour nous. Elle n’y connait rien en allaitement ni en tire lait d’ailleurs. Selon elle, "tout fonctionne bien »... Mais je sais qu'en fait rien ne va.
Je continue de me battre pour cet allaitement et m’oriente vers la PMI. On me confirme que mon allaitement n’est pas normal. Les larmes me montent, de délivrance. Les délais sont long mais on a un rendez vous avec « la pro de l’allaitement ».. Ma fille a 1,5 mois lorsque l’on nous confirme qu’elle a frein de langue, freins de joues, frein de lèvre supérieure. L’espoir reprend. On nous oriente vers un chiropracteur spécialisé. Il se situe a 40 km de notre domicile mais qu’importe! On fera plus de 5 seances avec lui. On courra à Lyon pour une frenectomie de la langue en Aout. Selon le chiropracteur, cela devrait suffire, "les autres freins ne sont pas inquiétants". 1 mois plus tard, rien n’a changé. Je prendrais un rendez-vous FaceTime avec une nouvelle IBCLC experte en freins qui me conseillera d’aller faire du shopping avec mes copines pour me détendre, ne demandera pas à observer une têtée ou à vérifier la bouche de ma fille, ne contrôlera aucun positionnement... 60EUR facilement gagné pour elle, une grande désillusion pour moi.
En Novembre, alors qu’en plein confinement, on court à Paris pour une frenectomie des freins levres supérieures et joues. L’ORL n'a eu aucun doute, ils étaient extrêmement restrictifs. Je reprends espoir, cette fois elle va pouvoir têter, c’est sur!
Je me suis battue à chaque fois pour obtenir tout ces rendez vous le plus rapidement possible, j ai fait des pieds et des mains, j ai supplie, explique l'urgence. C’etait l’allaitement de ma fille qui était en jeu. Ce que je ne savais pas encore, c'est que ce combat, on ne le remportera jamais. J’ai tiré mon lait pendant 7 mois. Nuit et jour. C’était pour moi le moyen de réparer une grossesse trop anxieuse et la culpabilité d’avoir transmis de mauvaises émotions à ma fille. Une façon de s’excuser et de faire la paix.
Les difficultés avec Z. ne se sont pas arrêtées à l’allaitement.
Etre 3 et 4 mois, elle casse ses courbes. Poids et taille. On fait analyser son sang mais les résultats sont bons. On nous dit que ce n’est peut être qu’un incident mineur, rien de grave, on ne doit pas s’inquiéter.
On continue notre quotidien mais rien ne fonctionne.
Au contrôle des 6 mois, on se rend à nouveau au cabinet pédiatrique. Cette deuxième pédiatre n’est pas plus humaine que la première. Elle note le faible poids de Z., je lui explique nos difficultés, Elle me dit que "Z. n'aime peut être pas mon lait et qu’il faut diversifier à fond", "qu’en 2020 on doit commencer la diversification dès 4 mois et non à 6 mois comme au temps de la pré-histoire»... Et puis ça: "Pour l’instant ça va, mais on est très limite. Si vous n’arrivez pas à faire mieux, on finira à l’hôpital avec la sonde ». Elle trouve Z. très agitée, elle est en hyper-extension constante, elle hurle sans cesse. On est loin du bébé model et la coupable apparemment c'est moi: « Madame, vous êtes trop stressée, votre fille le ressent, c est pour ça qu'elle est comme ca. Vous avez une aide psychologique? » La consultion est terminée, 10 min ça passe vite. Je prends mon sac, ma culpabilité, mon sentiment d échec maternel, j’ai envie de pleurer, j’ai un trou dans le coeur mais je dis au revoir et je referme la porte.
Nous avons navigué comme ceci pendant plus d’une année. Entre désert médical, maltraitance, injonctions, jugements, culpabilité, incompréhension, épuisement.
Nous avions pris un congé sabbatique, nous souhaitions être auprès de Z. pour sa première année. J’ai frôlé la dépression post-partum, on s'est retrouvé les deux pieds dans le burn out parental, le Baby Clash a été violent.... Comment un bébé de quelques mois pouvait mettre ses parents dans un état si précaire ?
Quelque chose ne va pas avec ma fille, je le sais, je le sens. Depuis le premier jour à la maternité je le sais. Quelque chose de profond.
Je me rappelle avoir regardé son visage et m'être dit: « quelque chose ne va pas ». Au fil des mois les problèmes grandissent et se multiplient. Son comportement d’une extrême difficulté, son agitation extrême, son hyper-activité, son rejet total envers son papa, sa quasi non-alimentation, ses problèmes extrêmes de sommeil, ses problèmes de développement moteur et de langage, ses besoins plus qu’intenses, ses crises, ses hurlements du matin au soir, ses attaques physiques contre elle-même ou contre nous…etc...
Ce ne sont pas des caprices, ce n'est pas ma fille qui essaie de nous manipuler. C'est ma fille qui crie au secours.
Un jour, alors que j'essaie de l'endormir pour la sieste, je la regarde droit dans les yeux et je lui fais cette promesse « On va trouver. Je sais que quelque chose te dérange, je sais que tu nous demandes de l'aide et je te jure ma fille que l'on va trouver, parce que je t'aime. »
Au 12 mois de Z., on décide de prendre rendez-vous à l'hôpital des enfants en Allemagne ou nous vivons depuis quelques mois. On est à bout, on a besoin d aide... urgemment. Apres 1,5 mois d’attente qui nous paraissent interminable, on a enfin rendez-vous avec une psychologue et un pédiatre. On explique. Tout. Depuis le début. On nous écoute. On nous comprend. On va nous aider.
Selon la psychologue, nous sommes dans un énorme sac de noeud qu'il faut démêler petit à petit. On commence par l'alimentation, aidé d'une orthophoniste et une nutritionniste. Rapidement, on nous parle d'une unité au sein de l'hôpital qui apprend aux enfants à manger. Depuis plus de 12 mois je vis dans la terreur. Chaque mois. A chaque pesée, j'ai le coeur prêt à exploser. A-t-elle pris des grammes, a-t-elle perdu du poids ? Je sais que nous sommes dans une situation précaire et que l'on danse sur un fil.
Le 15 septembre 2021, on entre a l'hôpital. On va apprendre à notre fille à manger.
Rapidement le corps médical conclut que Z. n'a pas de problème pour manger. Elle ne refuse pas la nourriture mais elle mange trop peu, beaucoup trop peu. Il y a donc bien quelque chose quelque part, mais ou? Et quoi? Alors ils écoutent attentivement notre récit, nos difficultés. Ils apprennent à connaitre Z. au fil des jours. Elle hurle du matin au soir. Ils sont témoins de son comportement extrême, de ses attaques, de son "hyper-tout"… Ils prescrivent des analyses de sang, commencent les recherches. On lui fait faire des tests allergiques, on regarde son coeur, son foie, ses reins, ses intestins. Tout est normal. Puis on nous informe que Z. sera vu par une Professeur de la génétique.
Mardi 21 septembre, cette Professeur va me dire ce que je sais déjà, ce que je sais depuis toujours.
Ma fille a un problème génétique.
15 mois.
C est le temps qu'il a fallu attendre pour que cette femme nous donne la clé, quelques minutes à peine après avoir rencontré Z.
6 pédiatres, 3 médecins généralistes, 1 chiropracteur, 2 Psychomotricienne, 2 orthophonistes, 1 ORL, 1 chirurgien maxillo-facial, 2 conseillères IBCLC. Sans compté le corps médical de la maternité.
C’est le nombre de professionnels de santé qui a rencontré Z. et qui n’a rien vu.
Aujourd’hui mon coeur de maman saigne, il a explosé en millions de morceaux mais en même temps je commence de nouveau à respirer, doucement. On va être aidé, on est déjà aidé, et on va savoir, enfin.
Car oui, pendant 15 mois je n'ai plus respiré. Mon instinct maternel m'a crié sans cesse chaque jour, chaque minute que quelque chose n'allait pas. Et je ne lui ai pas demandé de se taire. Je l’ai suivi, je l’ai écouté car c’était plus fort que tout. Une maman sent, une maman sait. Même s’il s’agit de son premier enfant. Ce n’est pas une question d’expérience mais d’instinct. Nous ne sommes pas médecin mais nous pouvons dire quand ça va et quand ça ne va pas.
Alors ne baissez pas les bras, ne lâchez pas. Tenez bon! Battez vous, pour un reflux, un allaitement, des freins restrictifs, des allergies, peu importe…
Faites confiance à votre instinct maternel, il est notre don le plus précieux. Il sait. Mieux que quiconque.